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LETTRE N°2


À celle qui garda trop longtemps ses amours secrètes.


J’ai beaucoup d’amour, aujourd’hui, pour celle que j’ai été et que j’ai cru, longtemps, incapable d’être aimée. Incapable d’amour envers elle-même, pour sûr, car l'amour pourtant m'entourait de partout. Cette lettre est pour toi, qui voulus aimer plus que tout mais qui ne cessa jamais de te renier, de t’enfermer dans la peur, dans la honte, à tel point que tu gardas tes amours longtemps secrètes.


L’amour devait rester caché. Car dévoiler l’amour, c’était risquer ta vie, jeter le dernier petit morceaux d’estime que tu avais de toi-même en pâture à un étranger désirable qui te renvoyais à toi-même en te faisant douter : je crois que j’aime, oui, mais moi, qui m’aimera ? Autant dire que tu le cachais farouchement, ce petit bout d’amour qui te faisais tenir. Tu croyais te consumer dans tes amours secrets, mais tu te consumais toute seule et tranquillement dans ces fantasmes inavouables (un fantasme n’existe que dans le secret ; on le décèle quand, une fois révélé, il éclate et disparait comme une bulle de savon).


Et chaque fois, à force de te consumer, venait un jour où tu réalisais qu’en continuant ainsi, tu te condamnais toi-même à devenir cendre de la cendre. De plus en plus noire. Charbonneuse. Cendrillon sans marraine. Au désespoir. Tu réalisais que cet amour n’était rien tant que non révélé. Alors, prenant ton courage à deux mains, tu allumais dans ton foyer un dernier feu ardent, et plongeant les pieds dedans tu pensais t’éteindre dans une ultime déclaration. Feu de Bengale.


Des déclarations, tu en a faites. Des vraies, qui font flipper, avec des mots d’amour entiers et véritables. En lettres manuscrites, par mail, ou en paroles faussement assurées. Ces derniers petits bouts d’amour que tu croyais posséder, tu t’es chaque fois risquée à les offrir, tu t’en es délestée devant l’objet de tes fantasmes. En sacrifice. Et toujours ils te sont revenus. On ne se sépare pas aussi facilement de soi-même! Ces déclarations, ce sont sans doute les plus grands actes de courage que tu aies pu accomplir dans ta vie. Des actes de rage, aussi, parfois. Et nécessaires. Pour autant, je crois que ce n’était pas vraiment des actes d’Amour. Parce que l’Amour, quand on le partage avec sincérité, est toujours reçu, et ne nous revient pas dans la figure. Je le comprends aujourd’hui.


À toi qui gardas trop longtemps tes amours secrets, je te le dis enfin, je t’aime. Je t’aime telle que tu fus, avec ton manque de confiance en toi, avec ton impression de ne pas être belle, avec tes boutons qui ne s’en allaient pas. Je t’aime même quand tu n’aimais pas vraiment, que tu rêvais seulement, mais que pour ces amours rêvés tu écrivais des poèmes, des lettres, des chansons, tu vibrais de tant d’émotions sans vraiment les comprendre. Je t’aime pour ton courage, pour ta rage, pour ta passion. Pour ton aveuglement. Aujourd’hui je suis bien plus sage. J’ai compris que l’amour, c’est au jour le jour, à chaque instant, pour toujours et de tout temps. Qu’il n’y a pas d’amour de l’autre sans amour de soi. Ni d’amour de soi sans amour de l’autre. Grâce à toi, grâce à tes peurs, j’ai appris doucement à m’apprivoiser. J’ai appris pas à pas, à redevenir capable d’amour. À redevenir capable de me laisser traverser par l’amour, et par là même, de le partager enfin. Cet amour, aujourd’hui, il est pour toi. Car tu en avais besoin, plus que tout autre, et que c’est moi, enfin, qui devais te l’offrir.


À toi, Manon, avec tout mon amour,

Ton présent.

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